Recommandations pour des contrats équitables
Développant l’ « Hexalogue » adopté par le CEATL en 2011, les recommandations suivantes, adoptées en 2018, se veulent un outil pour l’instauration de bonnes pratiques dans le secteur de la traduction littéraire. De telles pratiques seront bénéfiques à tous les acteurs de l’édition (traducteurs, éditeurs, auteurs des œuvres originales), car elles favoriseront la qualité des traductions publiées. À cette fin, il est indispensable d’offrir aux traducteurs des contrats équitables, une relation équilibrée, ainsi que de bonnes conditions de travail matérielles et morales.
En premier lieu, il convient de rappeler qu’avant le début du travail de traduction, un contrat doit impérativement être établi :
- un contrat doit toujours exister sous forme écrite et être signé par les deux parties;
- en s’appuyant sur les contrats « spéciaux » lorsqu’ils existent et/ou sur les modèles de contrat négociés entre associations de traducteurs et d’éditeurs ; en effet, les règles qui sous-tendent ces contrats garantissent les droits fondamentaux des deux parties et limitent les effets du déséquilibre du pouvoir de négociation qui existe entre elles ;
- après des négociations de bonne foi permettant la rencontre au cas par cas des besoins spécifiques des parties.
1. Cession de droits, obligations de l’éditeur
La cession des droits sera limitée à un tirage déterminé et/ou dans le temps. Si un traducteur ne perçoit pas de droits proportionnels, la cession de droits sera de plus courte durée.
- Les droits cédés et les conditions de la cession sont sujets à négociation. Le contrat ne doit pas constituer une cession globale des droits et le périmètre de la cession doit être détaillé (chaque droit cédé sera mentionné dans le contrat). En outre, le contrat ne devra pas prévoir la cession du droit d’exploiter l’œuvre par des technologies n’existant pas encore, ni celle de droits qui pourraient à l’avenir être accordés par la législation.
- En règle générale, la cession du droit d’exploitation de la traduction devrait être conforme au périmètre et à la durée de la cession consentie par l’auteur de l’œuvre originale à l’éditeur. Dans tous les cas, la durée de cession ne devrait pas excéder dix ans. Le contrat devrait comporter un droit de retour, tel que : « Si à quelque moment les droits sur l’œuvre originale reviennent à l’auteur, les droits sur la traduction reviendront automatiquement en même temps au traducteur. »
- L’éditeur aura obligation de publier l’œuvre dans un délai qui sera précisé. Exemple : « L’éditeur publiera la traduction dans les délais fixés dans le contrat, au plus tard deux ans après la remise du manuscrit. » (Hexalogue, #4)
2. Droits moraux
La Convention de Berne (https://www NULL.wipo NULL.int/treaties/fr/ip/berne/summary_berne NULL.html) reconnaît aux auteurs des droits moraux inaliénables, parmi lesquels les plus importants sont le droit de paternité et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre :
Droit de paternité
Le droit d’être reconnu comme l’auteur de son œuvre : « Auteur de la traduction, le traducteur sera nommé partout où le sera l’auteur de l’original » (Hexalogue, #6). Si un éditeur cède tout ou partie des droits d’exploitation, le bénéficiaire de cette cession doit être contractuellement tenu de mentionner le nom du traducteur de la même manière que l’éditeur d’origine.
Droit au respect de l’intégrité de l’œuvre
Le contrat doit respecter le droit à l’intégrité de l’œuvre du traducteur ; aucun changement ne sera donc introduit sans que le traducteur n’en ait été avisé ou ne l’ait approuvé. Celui-ci est en droit de refuser toute altération, mutilation ou autre modification de son travail susceptible de nuire à l’œuvre ou à la réputation du traducteur. Ce droit devrait être affirmé par une clause du type : « l’éditeur ne procèdera à aucune modification de la traduction sans le consentement du traducteur. » Le contrat doit donc prévoir une procédure de correction et de relecture d’épreuves respectueuse du droit du traducteur à être informé des modifications apportées à sa traduction de manière à pouvoir les valider. Le traducteur recevra de l’éditeur le texte final pour approbation avant publication et évaluera de bonne foi les changements apportés, ce qui favorisera une collaboration fructueuse. Au cas où le sujet de la traduction exigerait une révision par un spécialiste du domaine, qui pourrait procéder à des modifications et/ou ajouts, le contrat doit prévoir des clauses garantissant une collaboration entre le traducteur et ledit réviseur technique de manière à respecter le rôle et les droits de chacun.
3. Rémunération
La rémunération (paiement de la commande, pourcentage sur les ventes) fera l’objet d’une négociation et prendra en compte tous les paramètres pertinents, notamment la longueur et la difficulté de la traduction, l’expérience du traducteur, l’éventuel apport du projet par le traducteur, les ventes escomptées (en cas de succès de librairie), etc.
Paiement de la commande
« La rémunération pour l’œuvre commandée sera équitable ; elle permettra au traducteur d’en vivre décemment et de rendre une traduction de bonne qualité littéraire. » (Hexalogue, #2)
Bien que le contrat puisse prévoir une rémunération supérieure si l’éditeur obtient une subvention, il doit prévoir une rémunération de base équitable même si la subvention n’est pas accordée.
Droits proportionnels et usages secondaires
« Le traducteur aura droit à une participation équitable aux droits d’auteur pour l’exploitation de son œuvre sous quelque forme que ce soit, à partir du premier exemplaire. » (Hexalogue, #5)
Il est légitime que le traducteur, auteur de la traduction, profite dans une juste proportion du succès du livre. Des droits proportionnels doivent être versés dès le premier exemplaire ou une fois que la rémunération de la commande, si elle est considérée comme une avance sur des droits proportionnels, a été amortie (ou après qu’un nombre d’exemplaires précisé au contrat a été vendu). Si toutefois le contrat prévoit un paiement forfaitaire, un complément de rémunération doit être versé si les ventes dépassent un seuil convenu.
Le traducteur recevra aussi une part des recettes liées aux exploitations secondaires, tels que livres numériques, audio-livres, ventes en club, etc.
Échéances de paiement
« À la signature du contrat, le traducteur recevra un à-valoir sur la rémunération d’au moins un tiers. » (Hexalogue, #6). Le solde de l’à-valoir sera payé dans un délai maximum de soixante jours après la remise de la traduction.
Les contrats qui prévoient que le solde de la commande soit payé à la publication sont inacceptables. Le paiement de ce solde doit être directement lié à l’achèvement ou à l’acceptation de la traduction.
Dans le cas où le versement du solde dépend de l’acceptation de la traduction (voir point 5 cidessous), celle-ci sera signifiée dans un délai maximum d’un mois après la remise de la traduction.
Aucun travail supplémentaire gratuit ne sera demandé au traducteur
Si le traducteur est censé accomplir des travaux autres que la traduction (recherches supplémentaires, rédaction d’une introduction ou d’un glossaire, établissement d’un index), ces travaux doivent être clairement mentionnés au contrat et le traducteur doit recevoir une rémunération spécifique. Il doit aussi recevoir un complément de rémunération dans le cas où un travail imprévu vient s’ajouter à la commande initiale.
Aucune exploitation de l’œuvre sans rémunération
Certaines clauses prévoient que de nombreuses formes d’exploitation de tout ou partie de la traduction ne donnent lieu à aucun versement de droits au traducteur, pourvu que ces exploitations aient un but de promotion non seulement de la traduction et du traducteur, mais de « l’activité de l’éditeur ». Une définition aussi vague n’est pas acceptable.
4. Reddition de comptes
L’éditeur doit informer le traducteur de tous les usages qui sont faits de son œuvre par des redditions de comptes détaillées, transparentes et régulières (au moins annuelles), tel que spécifié dans une clause d’audit figurant au contrat. Une telle obligation doit s’appliquer y compris dans le cas où le traducteur ne perçoit aucun droit proportionnel, car celui-ci est en droit d’être informé de l’exploitation qui est faite de sa traduction et des recettes qu’elle génère.
5. Acceptation de la traduction
Dans la mesure où une traduction est généralement une œuvre de commande et où c’est l’un des premiers devoirs de l’éditeur que de s’assurer de la compétence du traducteur avant de lui confier un travail (par exemple en consultant d’autres travaux de ce traducteur ou en lui commandant un essai de quelques pages), l’éditeur ne doit pas pouvoir refuser une traduction si le traducteur a rempli ses obligations et rendu une traduction conforme aux indications données par le contrat (et de même style ou qualité qu’un échantillon dont l’éditeur aurait déjà connaissance). Le contrat ne doit pas laisser à l’éditeur la possibilité de refuser une traduction de manière arbitraire parce qu’il se rend compte qu’il a commis une erreur en choisissant l’œuvre à traduire ou parce que les circonstances ont changé.
L’éditeur et le traducteur s’entendront sur un délai permettant d’établir une traduction professionnelle : ils ont pour commune responsabilité de ne pas proposer ou accepter un travail si le temps imparti est trop réduit pour rendre une traduction de qualité. Autre point crucial, en particulier en matière de traduction littéraire : le traducteur ne doit pas se voir demander de rendre la traduction par tranches dans le but d’accélérer le travail éditorial. Ce n’est qu’après avoir traduit une œuvre dans son intégralité que le traducteur peut donner à son texte sa forme définitive et cohérente, dans un style unifié. Si donc on demande au traducteur de livrer la traduction par tranches ou si, après la signature du contrat, l’éditeur demande au traducteur d’anticiper la datebutoir, l’éditeur ne doit pas avoir le droit de refuser la traduction en raison de problèmes liés à des délais trop courts.
Dans le cas où le contrat prévoirait la possibilité de refuser la traduction pour des raisons de « qualité » (auquel cas des éléments irréfutables doivent venir étayer le refus), des clauses doivent au minimum prévoir des procédures de révision et/ou des voies de conciliation, et le traducteur ne doit en aucun cas se voir demander de restituer la fraction de la rémunération reçue à la signature du contrat. En outre, le contrat doit prévoir un délai précis et raisonnable pour l’acceptation de la traduction (par exemple trente jours) ; si le traducteur ne reçoit pas de notification de refus écrite et argumentée pendant cette période, la traduction sera considérée comme acceptée.
6. Garanties données à l’éditeur
Le traducteur ne doit jamais se voir demander de garantir que l’œuvre ne contient rien de calomnieux ou d’insultant ou qu’elle ne viole aucune loi ni aucun droit à la vie privée ou à l’image. La seule responsabilité incombant au traducteur concernant le contenu de l’ouvrage doit être de garantir qu’il a personnellement effectué la traduction, qu’elle est entièrement originale et ne viole pas les droits à la propriété intellectuelle de quiconque. Il peut cependant garantir à l’éditeur qu’il n’introduira pas dans son texte des éléments offensants ou diffamatoires qui n’auraient pas été présents dans l’œuvre originale ; en contrepartie, l’éditeur exonérera le traducteur de toutes poursuites auxquelles lui-même serait exposé du fait de la présence d’éléments offensants ou diffamatoires dans la traduction.
Suivre ces recommandations est important, mais ne sera pas nécessairement suffisant : le traducteur se doit d’être vigilant et de toujours vérifier que le contrat qu’il s’apprête à signer représente un accord équitable entre lui-même et l’éditeur.
Note sur les contrats dits de « louage d’ouvrage »
Les éditeurs situés aux États-Unis ou des éditeurs européens désireux d’« importer » des modèles de contrat étrangers leur semblant plus favorables peuvent être tentés de proposer aux traducteurs des contrats dits de « louage d’ouvrage » (work-for-hire contracts).
D’après la loi étatsunienne sur le copyright, si un travail est réalisé dans le cadre d’un tel contrat, ce sera la personne (physique ou morale) au bénéfice de laquelle l’œuvre a été créée, et non le créateur lui-même, qui sera considérée comme l’auteur de l’œuvre et le propriétaire du copyright (droit d’exploitation). Dans certains pays, on parle alors de « paternité d’entreprise ». Les contrats de louage d’ouvrage contreviennent aux principes de la convention de Berne et à la plupart (sinon à la totalité) des législations sur le droit d’auteur en vigueur dans les pays européens. Il convient donc de les refuser catégoriquement, de même que tout type de contrat « importé » dans un pays dont il ne respecte pas les usages et les lois.